V. Fontana: Éclairer le crime

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Titel
Éclairer le crime. Une histoire de l’enquête pénale sous la Révolution et l’Empire (Genève, 1790–1814)


Autor(en)
Fontana, Vincent
Erschienen
Genève 2021: Georg éditeur
Anzahl Seiten
712 S.
von
Fontana Biancamaria

Une dimension de l’expérience révolutionnaire française restant méconnue, malgré la présence d’un volume important d’études, est celle de la transformation de la loi et des pratiques judiciaires. Entre la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la promulgation du nouveau Code civil en 1804, un gigantesque travail de réforme a été nécessaire pour transformer les principes révolutionnaires en autant de normes intelligibles et règles applicables. Il ne s’agissait pas seulement de réécrire les codes, mais aussi de rebâtir les institutions – tribunaux, ministères, administrations locales – et de recruter puis former une nouvelle génération de magistrats et fonctionnaires. Non sans difficultés, ce travail a démarré au début de la Révolution et a finalement été accompli sous le Directoire et l’Empire. Les conquêtes territoriales entretemps réalisées par la France ont permis l’exportation de ces lois et institutions nouvelles dans les «républiques sœurs» – telle la République helvétique – avec des ajustements inévitables, dictés par les circonstances et par les traditions locales.

L’importante étude de Vincent Fontana, basée sur sa thèse de doctorat, se focalise sur un élément particulier de ce transfert, soit l’évolution de l’enquête pénale à Genève. Au moment de l’occupation de la Suisse et de la création de la République helvétique en 1798, la République de Genève, alors indépendante de la Confédération, est intégrée au département français du Léman dont elle devient le chef-lieu. De fait, Genève se voit ainsi incluse dans les structures administratives françaises, sans les adaptations réalisées dans la République helvétique voisine, eu égard aux anciennes institutions que remplacent les organismes nouveaux. Le fait que la République de Genève ait elle-même connu sa propre révolution en 1792 pouvait faciliter ce processus, elle qui n’était étrangère ni aux idées héritées des Lumières ni aux nouvelles demandes politiques générées par ces dernières.

La réforme de la justice réalisée par les juristes de la Révolution suivait grosso modo deux lignes directrices. La première consistait dans l’exigence de fixer la définition des délits et des peines sur la base de principes généraux et de lois clairement formulées, en réduisant le plus possible la marge d’interprétation de la part des juges, et donc la possibilité de sentences arbitraires. Cet approche réalisait en partie le rêve séculaire des robins, à savoir l’édification d’un «règne de la justice» fondé sur un système universel de lois. La deuxième orientation était le principe de la séparation des pouvoirs. Dans ce cas spécifique, cette attention impliquait la distinction claire entre les compétences d’un pouvoir exécutif responsable de la police et d’un pouvoir judiciaire responsable, pour sa part, de l’administration de la justice. Cette séparation des pouvoirs influençait directement l’organisation et le déroulement de l’enquête criminelle, qui dépendait de ces deux autorités distinctes dont la collaboration s’avérait souvent problématique, la preuve en étant qu’en France les ministères de Justice et Police, d’abord réunis dans un seul département, aient été divisés dès 1796.

Comme Éclairer le crime le montre, derrière les principes généraux inspirés par l’œuvre des écrivains des Lumières tels que Cesare Beccaria, la pratique se révélait autrement plus complexe que la théorie. Par exemple, l’auteur cite un manuel de procédure pénale publié, en 1808, par Claude Sébastien Bourguignon afin d’orienter magistrats et fonctionnaires de police. Or, au début des années 1790 déjà, les futurs ministres de la justice Merlin de Douai et Cambacérès avaient produit des tables et codes du droit révolutionnaire qui circulaient sous forme manuscrite, également destinés à guider les magistrats dans le labyrinthe des nouvelles normes. Du reste, le même Merlin de Douai calculait que, à la fin de la Révolution, entre 30’000 et 40’000 lois et décrets votés par les assemblées législatives n’avaient jamais été appliqués, faute d’être compris ou de disposer des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.

L’attraction des historiens pour des questions telles que l’enquête criminelle a été stimulée par les travaux de Michel Foucault, qui se focalisaient sur le contrôle exercé par le pouvoir sur les individus ainsi que sur les formes de la discipline sociale. Très riche et documenté, le livre de Vincent Fontana s’inscrit visiblement, à l’origine, dans cette tradition. Toutefois, sa recherche montre bien que l’intérêt de ces pratiques institutionnelles dépasse la dimension plus abstraite de la domination et de la surveillance: elle illustre toute la densité des structures de gouvernance, leur plasticité culturelle de même que leur ambiguïté politique.

Zitierweise:
Fontana, Biancamaria: Rezension zu: Fontana, Vincent: Éclairer le crime. Une histoire de l’enquête pénale sous la Révolution et l’Empire (Genève, 1790–1814), Préface de Michel Porret, Postface de Daniel Roche, Genève 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(2), 2023, S. 213-214. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00127>.

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